Auteur: Estelle Pautret, Naturopathe
Comme le dit l’adage chinois, « le mieux est l’ennemi du bien ».
Notre corps est notre écrin dans lequel on évolue tout au long de la vie, intimement lié à notre
mental et dans lequel l’énergie vitale se matérialise et s’exprime. La métaphore de l’écrin est celle
d’un objet dont on prend soin, n’est-ce pas ? Et pourtant que de critiques envers ce corps souvent
mal aimé, rejeté, modifié grâce aux technologies de pointe, pour le rendre conformes aux images
mises en avant par notre société, et ce dès le plus jeune âge. On inculque aux enfants de se tenir
bien, d’être sage, de ne pas crier, etc. d’être une image en somme. Et la violence vis-à-vis de soi
démarre déjà. Puis, au fil de la vie, sous prétexte de vouloir prendre soin de soi, on continue à
s’imposer bien des choses, que ce soit au niveau alimentaire, pour calmer notre mental ou détendre
notre corps. Mais, se faisant, il me semble essentiel de prendre un moment pour se demander si ces
actions répondent à notre objectif de base, c’est-à-dire de se sentir bien, voire mieux. Car lorsque
l’on prend conscience que ce contexte de contraintes est empreint de violence envers nous-mêmes,
on est alors en mesure de réfléchir à une relation plus harmonieuse avec son corps. De fait, là où
l’on met de la conscience, on apaise la violence et l’on peut alors développer la bienveillance.
PRENDRE CONSCIENCE…
… des contraintes sociétales
Bien souvent, entre les modes et nos propres croyances, on se lance dans tout un tas d’exercices
dictés par la morale de notre société : ceci est « bien ou mal », « autorisé ou interdit », ce qu’il faut
faire ou ne pas faire…
Dans le milieu de la naturopathie par exemple, on pense souvent de la même manière :
- En alimentation, il y a les aliments à bannir Vs ceux à favoriser
- On parle des cures de détox à faire absolument au printemps
- Etc.
Il en va de même sur le plan émotionnel : lorsque l’on se met à la méditation par exemple, on en
attend tout un tas de bénéfices prouvés scientifiquement. Sauf que… il « faut » le faire
régulièrement pour que ce soit efficace entend-on partout, il faut au minimum X minutes de
pratique, etc. Que se passe-t-il si on ne s’y astreint pas ? On rate l’exercice ? On culpabilise ? Ou bien
l’on réussit à se remotiver en se forçant, mais dès lors le moment de bien-être que l’on s’accordait
devient une contrainte, une action de plus qu’il « faut faire ».
Tous les « il faut, je dois » sont habités d’une violence antinomique avec le soin de soi que l’on
recherche de prime abord. Quoi de plus culpabilisant que de se dire qu’on fait quelque chose de
mal/d’interdit ou qu’on devrait faire telle ou telle chose, mais qu’on ne le fait pas ?! Ainsi, l’efficacité
d’une action autant que notre état émotionnel s’en trouve impacté. Et pourtant, il est possible de
relativiser en se rappelant que tout ce qui est fait avec la notion de plaisir a un impact positif sur le
corps. Par exemple, un plat industriel pris dans un cadre convivial et joyeux peut être plus digeste
qu’un plat sain maison pris dans la tristesse et la solitude…
D’autre part, ce discours dans lequel tout est noir ou blanc reste théorique et omet la considération
de ce qui intervient dans la réalité de chacun au moment de passer à l’acte. De fait, en tant
qu’individus ancrés dans une réalité, chacune différente de celle des autres qui plus est et, de
surcroît, qui évolue au fil du temps, incluant une culture, une éducation, un travail, une vie sociale,
etc., on ne peut agir que pour un corps spécifique et une situation donnée, contrairement à ce que
laissent penser tous les programmes en ligne pour faire LA détox du printemps efficace ou LA
retraite de détente, ou que sais-je…
Mais alors, comment répondre à la nécessité de régularité parfois inhérente à la réussite d’un
objectif spécifique et qui néanmoins peut sembler une contrainte ? Tout est question de
perception : plutôt que d’être dans la résistance, de chercher à se forcer pour agir, ne semble-t-il pas
plus juste de s’autoriser à relâcher la pression et laisser venir les choses à soi ? À tester différentes
méthodes ou exercices si besoin, afin de trouver ce qui nous conviendra au mieux ?! Car lorsque ce
que l’on fait nous semble juste, on n’a pas besoin de contraintes pour agir. Pour y arriver, on peut se
demander les raisons profondes qui nous poussent à agir ; ce qui motive est rarement de l’ordre du
« je dois » le faire, mais plutôt d’une envie… Envie de quoi ? D’être fier de soi ? D’être en bonne
santé / plus apaisé… ? Il s’agit de focaliser son énergie dans ce qui nous tire vers le positif, ce qui
nous anime, vers une motivation de vie si l’on y pense bien. Car ce qui contraint, sclérose, rapproche
de la notion de mort. C’est cela la violence, c’est ce qui entraîne qu’elle crée tant de souffrance, elle
n’est pas porteuse de vie et d’épanouissement. Or, à partir du moment où l’on cherche à se
connaître, à se poser les questions de ce qui nous correspond pour prendre soin de nous-mêmes, on
est récompensé par une meilleure sensation de bien-être.
…Vouloir mettre tout le monde dans le même panier
Rien n’est jamais vraiment tout noir ou tout blanc. Pour prendre quelques exemples explicites :
- Le chocolat : le noir est mieux que le lait, entend-on souvent, car moins sucré. Certes, mais
plus il est noir, plus le chocolat donne du travail au foie, donc est-ce vraiment mieux ? Tout
dépend de l’état du foie de la personne concernée d’un côté, et de celui de sa glycémie de
l’autre… - Et le cru, est-ce vraiment la panacée ? Encore faut-il que les intestins soient en assez bon
état pour réussir à gérer la dureté des fibres…
Trop souvent, j’entends des gens dire avoir essayé une technique, une méthode, et dire que cela ne
sert à rien ou n’est pas efficace. Ou, au contraire, un ami – ou même un praticien/thérapeute – qui
conseille « LA » méthode miracle à essayer pour se sentir mieux sous tel ou tel aspect ! Ce qu’ils
oublient de préciser est « pour eux ». Car une même méthode peut être efficace pour une personne
et inutile pour une autre.
À nouveau, il me semble plus judicieux d’éviter des règles qui se voudraient universelles et de
prendre en considération notre morphologie, nos capacités et nos besoins, autant organiques que
psychologiques. Le propre de l’homme est l’individualité, différente des autres qui l’entourent. La
réalité est ainsi moins violente quand on sait qu’on n’est pas conçu pour entrer dans des carcans,
mais qu’on a chacun des outils qui nous conviendront personnellement. Le tout est de les trouver, et
donc de faire ses propres expériences en se laissant guider par ce qui nous attire.
...Le besoin d’expulser : une justification à la violence ?
Lorsqu’on réalise un exercice physique, souvent on veut se donner à fond ; on a le sentiment d’avoir
bien travaillé quand on a des courbatures le lendemain. Et pourtant, si le corps envoie des signaux
de douleurs, c’est qu’il a été heurté. Est-il vraiment nécessaire de violenter son corps ?
Dans toutes les sociétés, des sports ont été inventés qui mettent en scène des personnes se battant
(lutte, boxe, rugby, etc.), ou du moins s’opposant physiquement selon des codes établis. Ces sports
qui peuvent entraîner douleurs physiques et souffrances psychiques (le fait de perdre, risque de se
sentir nul…), voire de perdre la vie, nous poussent malgré tout à constater que l’homme est amené à
violenter son corps…
La vie en société amène son lot de raisons qui peuvent engendrer des réactions fortes, jusqu’à la
violence. Or quand on se retrouve avec une émotion douloureuse sur les bras, on n’est pas toujours
apte à la maîtriser alors parfois l’expulser, dans un cadre permis, peut être une solution. Car l’on
observe que le sport se fait systématiquement dans le respect de règles… Comme par conscience
que si on la laisse prendre de l’ampleur, la violence est comme un feu de forêt, elle peut faire des
ravages.
Or le corps se souvient de tout, il stocke les informations. Et comme on dit : « tout ce qui ne
s’exprime pas, s’imprime ». Néanmoins, parfois, à trop vouloir exprimer, on imprime des dégâts.
Ainsi, plus on le moleste, que ce soit sous forme de bleus au corps ou à l’âme, plus il risque de nous
le renvoyer un beau jour, tel un boomerang qui fera alors très mal. Car vous le savez, on récolte ce
que l’on sème ou, pour le dire autrement, la violence entraîne la violence. Par exemple, une
personne qui fait du sport intensif, si elle pousse en permanence son corps à aller plus loin, peut
aller jusqu’au déchirement musculaire qui la stoppe complètement. C’est que le corps a dit stop, car
la personne n’a pas su s’arrêter à temps. Ne pourraient-ils pas s’entendre ? Pour se faire, il est
crucial de connaître son corps, de comprendre ses mécanismes de fonctionnement afin d’agir sur les
causes d’un trouble. C’est un des objectifs de la naturopathie ; transmettre les connaissances qui
permettent à chacun d’ajuster son mode de vie en connaissance de cause.
S’HARMONISER AVEC SOI-MÊME
…Choisir d’être responsable
La notion de non-violence, donc le refus de légitimer la violence sous quelque forme que ce soit, est
présente dans la plupart des religions et philosophies du monde. L’usage qu’en a fait Gandhi en Inde au début du XXe siècle a montré qu’elle n’était pas un choix facile. Cela demande parfois de la
patience, de la persévérance, voire une certaine détermination. Le but est de trouver l’équilibre
entre le souhait de réaliser ses objectifs qui implique de bien les garder en vue, mais de savoir lâcher
prise pour éviter de nuire.
Dans ce contexte, être non violent avec son propre corps, est-ce ne rien s’imposer pour ne pas se
faire violence ? Gandhi appellerait cela de la lâcheté, ce qu’il rejetait tout autant que la violence, car
cela revient à de la passivité. Souhaitons-nous laisser notre corps à l’abandon jusqu’à ce qu’il soit
trop tard pour agir par soi-même et qu’il faille dépendre de béquilles extérieures telles que des
traitements ou de la chirurgie ? La non-implication dans l’existence de son propre corps est aussi une
forme de violence je trouve, car cela revient à ne pas respecter celui qui accueille et permet – ou
non – notre santé, notre bien-être… donc soi-même. Nous sommes un corps, un esprit, une unité
dont nous avons la responsabilité. Il est important de s’associer au soin de soi, ne pas seulement
dépendre de l’avis des spécialistes médicaux. Car nous sommes les premiers à pouvoir nous
connaître vraiment et à souffrir ou bénéficier d’une action sur notre propre corps. Il me semble donc
essentiel de ne pas se considérer comme une voiture déposée au garage (le lieu médical) et qui
repart à toute allure sans savoir ce qu’il s’est passé, une fois que le mécanicien (le médecin) a fait
son travail. N’oubliez pas que nous sommes le conducteur de cette voiture et, à ce titre, il est capital
de comprendre les voyants rouges pour adapter sa conduite afin que ceux-ci ne s’allument pas et,
ainsi, ne se rendre au garage que par souci d’entretien, ou bien le plus tard possible.
Plus concrètement, prendre soin de soi de manière non violente revient à être actif, mettre en place
des actions sans se faire du mal au passage. C’est, par exemple, décider de faire un jeûne si on sent
que notre corps en a besoin, mais savoir ajuster sa durée selon les signes que donne le corps et non
ce que le mental a décidé. En fait, agir de manière non violente avec soi, c’est agir pour son bien-être
tout en étant à l’écoute de la vie et des paramètres que l’on ne maîtrise pas, dont font partie les
réactions du corps.
…Communiquer de manière empathique avec son propre corps
C’est ainsi que j’en viens à la Communication Non Violente (CNV) développée par Marshall
Rosenberg dans les années 1960 dans la lignée de Gandhi. Connue comme outil de communication
dans le cadre des relations à autrui, reconnue pour son efficacité dans la gestion de conflits, la CNV
permet aussi de développer la capacité à identifier ses propres émotions et besoins.
Le processus tient en 4 étapes simples : d’abord observer les faits, ensuite identifier les
émotions/sentiments que cela génère en nous, chercher les besoins non satisfaits sous-jacents et
enfin, exprimer une demande (à soi ou à autrui) pour y répondre.
La CNV me semble donc tout aussi adaptée au domaine du bien-être car communiquer avec son
propre corps suit le même processus : on peut observer les signes visibles qui relèvent de la
morphologie, mais aussi les symptômes qui ne sont pas là pour être étouffés, mais qui sont comme
des voyants émotionnels, indiquant ce qu’il se passe en interne.
On peut aussi considérer notre propre corps comme cet autre qui nous fait réagir ; générant des
émotions qui impliquent de comprendre les besoins mis à mal. Ainsi, en écoutant ce qu’il se passe à
l’intérieur, on décuple les potentialités de satisfaire nos besoins, mieux qu’en laissant le mental
prendre le contrôle. Car le corps ne ment jamais, il s’exprime et ne demande qu’à être écouté. Les
symptômes qui viennent de notre corps deviennent alors comme le coup de fil d’un ami de longue
date : on lui exprime notre contentement qu’il souhaite communiquer avec nous et on lui demande
les nouvelles pour ensuite l’écouter attentivement et le soutenir si besoin.
Alors, bien sûr, le comprendre demande de la patience et de la persévérance, un peu comme
lorsque l’on apprend une nouvelle langue. C’est là qu’il devient important de pratiquer la non-
violence, de redonner sa place au corps par une écoute empathique pour prendre le temps de
comprendre ses besoins de mieux en mieux et de l’aider à ajuster ses activités. Et c’est un acte
d’amour à faire envers soi-même qui ne peut que désarmer la violence. Car un corps dont on prend
soin est un corps qui saura manifester sa gratitude, via son propre langage, celui de la vitalité. À
partir de là, le corps peut nous rendre au centuple l’énergie dont il est capable. On est alors dans le
processus de la vie : on prend les choses comme elles viennent, spontanément, sans contrôle, mais
avec attention.
En somme…
Choisir d’être non violent avec son propre corps n’est pas un choix de simplicité, mais de
responsabilisation. C’est un chemin de reconnexion à ses besoins. Sans contraintes, savoir écouter
ce que ce corps que j’habite me communique, pour répondre à ses demandes au mieux, et ainsi
créer un dialogue d’entente et qui permette à l’énergie d’abonder ; cette énergie vitale, signe d’une
communication fluide entre soi et son propre corps, qui passe par l’empathie et la gratitude.
Dans cet état d’écoute active, on est prêt à accueillir autrui pour des relations harmonieuses. Car si
l’on est capable de manifester de l’amour à son propre corps, la même énergie circulera entre soi et
l’autre.
Pour aller plus loin :
Lanza del Vasto, Technique de la non-violence, éditions Denoël.
Marshal Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs). Introduction à la
communication Non-Violente, éditions La Découverte.
Thérèse Bertherat, Le corps a ses raisons. Auto-guérison et anti-gymnastique, éditions Seuil.
Estelle Pautret, Naturopathe
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